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FEVRIER 2023 - LA MONTAGNE MAGIQUE :
ENTRETIEN AVEC CLASSIQUE NEWS
à retrouver sur classiquenews.com
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ENTRETIEN avec le quatuor LONTANO… 4 instrumentistes réinventent la pratique chambriste et font du quatuor un formidable terrain d’expérimentation et de rencontres croisées. Pauline Klaus (violon I) évoque plusieurs volets artistiques du Quatuor LONTANO : création et fonctionnement du Festival Les Musicales d’Assy (face au Mont Blanc) chaque été ; engagement pour l’écriture contemporaine et la création de nouvelles partitions ; rencontre et travail avec les compositeurs d’aujourd’hui ; regards sur le répertoire classique et explorations de nouvelles formes, en lien étroit avec le public… Leur récent cd intitulé « La Montagne magique » (1 cd Cascavelle), claire référence au roman de Thomas Mann, offre en miroir un aperçu impressionnant des champs investis … intégrale des œuvres pour cordes de Stravinsky, travail avec le compositeur Paul Novak et création de son Quatuor à cordes (« A string quartet is like a flock of birds « )… autant de jalons d’un cheminement en cours, qui témoigne en réalité de 7 années de défrichement musical et de collaborations diverses au sein du Festival Les Musicales d’Assy. La Montagne se gravit pas à pas et les Lontano plus inspirés que jamais, en découvreurs surprenants, en explorent les itinéraires magiciens… Entretien pour classiquenews.com
Dossier de presse
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CLASSIQUENEWS : Comment avez- vous construit ce programme à la fois généreux et très cohérent ? Quel est son lien avec le Festival Musicales d’Assy que vous avez créé ?
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QUATUOR LONTANO : Pour ce deuxième album, nous avons souhaité réaliser un disque qui raconte une histoire : emmener l’auditeur avec nous en immersion « complète », et faire que l’on y entre comme dans un roman ou dans un conte…. En réalité il y a beaucoup d’histoires imbriquées les unes dans les autres, dans cette « Montagne magique ».
Avant tout, c’est l’évocation d’un lieu : cette montagne qui est un peu le « berceau » du Quatuor Lontano, puisque qu’elle nous accueille depuis nos débuts (au Plateau d’Assy, en Haute-Savoie). Le lieu, grandiose, est imprégné d’une histoire, presque d’une légende, très forte, qui fait irrésistiblement penser au grand roman de Thomas Mann, auquel nous avons emprunté le titre de l’album. Il se trouve qu’il a également accueilli Igor Stravinsky, dans un moment décisif de sa vie (au tournant de la fin des années 30, juste avant son départ de l’Europe pour les Etats-Unis).
Le quatuor a donc « grandi » dans ce lieu fortement imprégné de sa présence : il était naturel de centrer cet album sur l‘intégrale de son œuvre pour quatuor, et qu’elle soit la première pierre d’une sorte de « rétrospective » de l’aventure musicale que nous y menons depuis la naissance du quatuor, sept années faites de rencontres, de découvertes extrêmement riches… Deux pièces pour violon et piano viennent compléter cet hommage à Stravinsky, en rappelant la splendeur des grands ballets de l’ « Oiseau de Feu » et « Petrouchka ».
Chaque pièce a ensuite pris sa place dans l’album :
Nous avons complété le programme de quatuor avec deux pièces que nous avons souhaité mettre en avant : « A string quartet is like a flock of birds » du jeune Paul Novak (24 ans) découvert lors de notre Appel à compositions 2022 ; et les « Deux pièces pour Quatuor » d’Aaron Copland, répertoire méconnu, et encore peu présent au disque.
Nous tenions également à partager cet album avec nos partenaires et amis, à nos côtés depuis les débuts, avec deux chefs-d’œuvre emblématiques du XXème siècle en effectif d’ensemble de chambre. Nous avons ainsi fait la demande au compositeur Antonin Rey de cet arrangement « sur mesure » du « Tombeau de Couperin » de Ravel pour huit musiciens ; en plaçant en regard les cosmopolites « Folk songs » de Berio, œuvre sublime qui explore un formidable patrimoine populaire, artistique et humain, et où s’exprime tout le talent de la mezzo-soprano Amaya Dominguez.
CLASSIQUENEWS : Qu’est-ce que les œuvres de la (courte) intégrale pour cordes de Stravinksy révèlent du compositeur ? En quoi ces partitions stimulent-elles l’interprète ?
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QUATUOR LONTANO : La caractéristique de ce corpus est que ce sont des miniatures, qui ont nous ont emmenés dans un travail très particulier, différent de celui de partitions d’une trentaine de minutes ; l’occasion d’un travail du détail, de la concision, de l’équilibre et des proportions : une économie de moyens qui nous a conduit dans une dimension passionnante de notre travail à quatre.
Loin d’être « pauvre », cet ensemble, dans son éclectisme, est de plus extrêmement représentatif de la richesse de la « patte » Stravinsky, à travers tous les différents styles qu’il a emprunté : dans les « Trois pièces » on trouve par exemple, comme esquissés en quelques traits : l’énergie détonante des jeux de rythmes, engendrant une mécanique « motorique » bien reconnaissable chez Stravinsky, de parties résolument indépendantes les unes des autres mais cependant « emboitées » : le tout créant un ensemble d’apparence statique mais dont les asymétries créent une mutation perpétuelle… avec « Excentrique », une inspiration venant de la danse, avec une musique qui devient clairement spatiale, faisant naître des gestes, des « objets » sonores aux volumes surprenants évoquant les collages cubistes. Et un dernier volet « Cantique », où le quatuor est cette fois rapporté à sa dimension verticale et pleinement homogène du choral, plongeant dans les racines de la liturgie russe orthodoxe, et dont la simplicité et l’austérité font naître peu à peu une émotion poignante. Le « Concertino », en un mouvement, explore lui un cheminement plus rhapsodique, parsemé de couleurs bigarrées et tranchées avec une écriture nettement concertante pour le premier violon ; et le « Double Canon », une page d’écriture dodécaphonique, où là encore la complexité de l’écriture se résout dans une unité de l’ensemble qui met l’interprète au défi de rendre cette simplicité avec la justesse, la clarté requises. Rien de plus difficile pour un interprète !
CLASSIQUENEWS : Pourquoi tenez-vous à défendre les œuvres contemporaines ? Comment dialoguent-elles avec les autres écritures « classiques et romantiques » ?
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QUATUOR LONTANO : Pour nous, la fréquentation d’écritures et d’inspirations nouvelles est le gage d’un renouvellement toujours possible de l’écoute, primordial, mais aussi de notre travail comme interprètes : il nous laisse la possibilité d’être surpris, voire bousculés… Il est le corollaire parfait du travail de retour régulier sur les œuvres du répertoire, dont nos lectures évoluent avec le temps, et où des dimensions nouvelles apparaissent à chaque relecture.
C’est ce que nous souhaitons donner à entendre à notre public en proposant des programmes où se côtoient des œuvres aux langages différents : emmener l’écoute dans des domaines inconnus, pour un public qui n’en a pas toujours l’habitude, permet d‘entendre différemment les œuvres mieux connues du grand répertoire, et pas seulement dans leur dimension la plus familière, mais en y apportant cette ouverture de l’oreille… et le public en redemande !
Le dialogue et l’échange avec des compositeurs d’aujourd’hui, comme nous avons pu le faire avec Paul Novak pour son quatuor, est bien sûr un apport inégalable, un moment précieux où le compositeur et l’interprète s’apportent mutuellement.
CLASSIQUENEWS : Qu’est-ce qui vous séduit dans l’écriture de Paul Novak ? Avez-vous d’autres projets avec lui ?
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QUATUOR LONTANO : Nous avons découvert l’œuvre de Paul à l’issue d’un Appel à compositions que nous avons organisé en 2022, pour lequel nous avons reçu de très nombreuses candidatures (près de 400 œuvres venues du monde entier). Nous souhaitions compléter le programme de notre album avec une œuvre récente, qui devait être relativement courte ; nous avons finalement choisi de lancer cet appel, ouvert, pour donner cette chance à un compositeur d’être enregistré et diffusé. Là encore, nous voulions nous-mêmes nous laisser la chance d’être surpris, et avons lancé l’appel sans idée pré-conçue : l’œuvre de Paul s’est immédiatement imposée, par la poésie de son propos (« A String quartet is like a flock of birds », « un quatuor à cordes est comme un vol d’oiseaux »), et le raffinement de son écriture.
Virtuose pour le quatuor, cette pièce est également d’une grande lisibilité, avec sa structure en variations contrastées, ses timbres miroitants qui déclinent une vaste palette de couleurs du quatuor… Cette œuvre démontre une maîtrise et une maturité remarquables pour un compositeur aussi jeune. Nous avons en effet en projet de poursuivre notre collaboration avec une commande, sans pouvoir en dire plus pour l’instant !
CLASSIQUENEWS : Quel est le répertoire habituel du Quatuor Lontano ?
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QUATUOR LONTANO : Tout le répertoire du quatuor à cordes ! Il est bien sûr impossible d’en faire le tour… A l’origine, notre quatuor est né (de la rencontre des deux violonistes) d’un attrait commun pour le répertoire du XXème, et particulièrement du véritable choc esthétique éprouvé à l’écoute du premier Quatuor de Janacek (« La Sonate à Kreutzer »), autour duquel nous avons construit notre premier disque.
Depuis, nous explorons autant les classiques, fondateurs du quatuor, Haydn, Mozart et Beethoven… que le répertoire moderne et les contemporains.
Nous goûtons particulièrement la liberté de choisir et de construire nous-mêmes nos propres programmes, en ayant la latitude de nous lancer sur les territoires de notre choix : ce sont ces possibilités quasi infinies du quatuor à cordes qui nous nourrissent, qui font que l’activité que nous menons avec cet ensemble est si centrale et précieuse pour chacun de nous quatre.
Nous avons également un grand bonheur à partager des programmes avec d’autres artistes: par exemple le saxophoniste de jazz Vincent Lê-Quang, la percussionniste Vassilena Serafimova, la chanteuse Amaya Dominguez, l’artiste visuel Yukao Nagemi… Aventures collectives qui apportent toujours beaucoup au groupe.
CLASSIQUENEWS : De quelle façon le déroulement du Festival Les Musicales d’Assy enrichit-il votre activité comme Quatuor ?
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Ce festival, créé et dirigé par la violoniste Pauline Klaus, incarne justement bien cet espace de liberté et de créativité qui forme l’« ancrage » du quatuor. Il nous offre par exemple la possibilité de faire des commandes à des compositeurs, ou d’initier des collaborations qui peuvent se poursuivre sur plusieurs années, nous donnant ainsi un « temps long » qui s’avère précieux : avec les artistes invités, mais aussi avec les partenaires culturels qui accompagnent depuis sept ans (artistes, lieux de concerts comme la scène sublime du « Jardin des Cimes » ou la Galerie d’art contemporain « Crémerie »…), sans oublier les bénévoles sans qui le festival n’existerait pas !
Dans sa direction artistique, Pauline Klaus s’attache ainsi autant que possible à partir des propositions des musiciens pour bâtir chaque programmation en fonction des projets et des propositions des artistes invités, et au gré aussi des rencontres et des découvertes faites dans l’année : les éditions ne se ressemblent pas ! Cette liberté laissée aux musiciens fait naître de nombreuses possibilités au gré de ce que chacun apporte, permettant d’y proposer des coups de cœur, des coups d’essai… Pour tenter d’y inventer ensemble une sorte de « concert idéal ».
Le lien tissé avec un public de festivaliers qui nous suit maintenant avec fidélité est également très fort : d’abord, pour le partage et les échanges qui ont lieu tout au long du festival, qui rendent ces concerts particulièrement vivants. Mais aussi parce qu’il nous nourrit en tant qu’artistes et donne un sens unique à notre activité : l’attente qui entoure chaque édition, les moments d’émotion, les débats passionnés qui naissent parfois autour d’une œuvre ou à la suite d’une conférence, mais aussi la venue d’un jeune public aux Master class, ou à nos côtés en soutien comme bénévoles, nous montrent que nous avons bien aujourd’hui un rôle à jouer.
Propos recueillis en février 2023
FESTIVAL Les Musicales d’ASSY, du 22 juillet au 2 août 2023 (Plateau d’Assy)